Krayon Kréyol

Cinquante et une heure moins quarante huit, dans le branchage d'une forêt primaire d'équateur.

Bondissant simiesque de ravines blanches en morne rouge.

Dégringolant de savanes mulet en porte d'enfer à l'odeur de soufre reptile.

Sautant d'Acomat en cascade bis via canyon moustique.

Nous voilà rendus au détour d'une trace antillaise, même pas une sente, à peine la largeur d'une patte mangouste

Et là, paumés comme des robinsons, dans l'éclair d'un rayon canopée, la douceur désuète d'une varangue assoupie.

Hors du temps comme de la jungle. Inhabitée peut-être. Auréolée de vapeur d'eau.

Bouffée d'air dans l'océan végétal.

Respiration de flore, haleine de liane.

Un havre crusoë.

Ouverte au premier venu, offrant un profond fauteuil de cuir coco, usé jusqu'à la palme par toutes les fesses vagabondes qui l'ont caressé.

Et peut-être quelques ratons laveurs.

A ses côtés l'arawak hamac à bras grands ouverts.

Une maison sans âge aux fenêtres d'ombres soulignées de fard émeraude environnant.

Une carte postale cernée de mascaramazone, de plein pied enracinée.

Saisir l'instant, tout lui prendre à tout prix. Encore une fois. Quête perdue.

Et pour se faire, d'un couteau chien de cade poli en fond de poche percée

Tailler à la va-vite dans une palme déplumée d'alizé

Un copeau d'écorce tropique, plat d'un côté, de l'autre émoussé

D'un geste leste façonner ce zest palmier

Puis l'incliner doucement comme un tau soulevé par le vent

Laisser couler couleur de source de ses nervures effilochées

Recueillir l'effusion de cette sève exsanguine dans la paume palmée d'une page vierge

Ainsi nait l'encre à souvenirs

S'en peinturlurer les pommettes façon caraibe

Pour devenir shaman mahogany avec bourdon totem

Z'oreol dur de la feuille bien tendue

Ecouter le silencieux récit des heures entièrement antillaises

Totalement équatoriales, complètement tropicales que chuchote la fowè alentour

L'inaudible secret vert qui bruisse des branchages aux charpentes, des lianes aux madriers, des jeunes pousses aux rambardes vermoulues.

Retranscrire en transe les notes exophytes du bois vivant qui craque avec ses morts.

De cette écharde sorcier faire un magique Krayon Kreyol

Pour mélopée pas pastel, juste aqua-réelle

Allez rentrons, il pleut