On a tué le temps
- Par arcimboldodejuin
- Le 10/11/2017
Dans l'attente du retour, Djibouti aout 2015
A l’image des caravanes de sel sur la toile d’un peintre inconnu, les jours se sont arrêtés au pays des droits de l’homme.
Dans le sablier de l’Est africain, la pendule du grand horloger est enrayée.
Khamsinisée et lyophilisée comme le reste. Peut-être l’oeuvre de quelque déesse qui n’a pas envie que le mois du blanc s’achève…
Les djiboutiens qui voyaient arriver la fin du Ramadan avec appétit vont devoir patienter encore un peu, ultime tentation divine, dernière épreuve rédemptrice.
Après ce sera l’Aïd el-Fitr, le silence des agneaux.
Pour les autres, et bien ça signifie que la date du retour ne s’approche plus. Damned.
Va falloir durer. Garder un oeil photographique, forcément objectif, sur ce qui nous entoure et qui étonne moins.
Qui risque de devenir familier. Voire auquel on pourrait s’attacher.
Rester en alerte pour ne pas tomber du côté où le climat et peut-être un peu de fatigue nous poussent.
Des hallucinations envahissent déjà les pages du blog et ça n’est pas bon signe.
C’était trop tôt pour arrêter les brochettes de mérou…
Faut se reprendre, mon gars, sinon tu finiras en ermite au fin fond d’un repaire de blogueur, emmuré vivant dans une chaleureuse moiteur comme un cancer du tropique.
Non non non, tropicalitude molle tu n’auras pas ma peau, contrairement aux matous collés aux vitres des pièces climatisées.
Le temps s’est arrêté ? Soit, nous allons l’immoler.
Tuons ce temps qui ne passe plus.
La tâche est aisée le matin car il n’oppose pas trop de résistance.
Le travail en vient facilement à bout, travail tabou.
Le reste du temps ne se laisse pas faire.
On l’attache à une chaise, un soleil de midi dans la figure pour qu’il nous dise tout, on le soumet à la question d’une sieste nécessaire, on le passe à tabac de plongées frénétiques, on l’étrangle au collet du braconnage numérique.
On le malmène, on l’étripe, on le lynche en vagabondages successifs.
Il mange chaud le temps, comme nous d’ailleurs, et finalement il n’expire qu’à l’aube et au crépuscule.
Aux heures tièdes de la journée.
A ces moments qui pourraient être du matin comme du soir.
Instants suspendus entre nuit et jour.
Où le ciel et la mer se fondent
Où Menelik éteint ses lumières
Où des carrioles emmènent leur chargement d’ouvriers vers les chantiers
Où la mosquée ventrue est encore bleue au dessus des caisses
Où la siesta réveille ses morts à coup de corneilles
Où ces mêmes morts vont tremper leur linceul
Avant de retourner hanter la ville fantôme.
Bref des minutes où l’on pourrait croire que, oui, enfin le temps est mort.
Alors immobile dans l’onde d’un ventilateur, paisible dans le courant de la clim, on en profite pour griffonner.
Une envie qui prend comme la soif. On l’étanche. On s’épanche.
Plic ploc de gouttes de sueur le long de l’échine.
Scritch scratch d’une plume sur le papier.
Les idées se répandent sur les feuilles par capillarité.
Encore un peu de temps a été tué, une petite victoire dans l’attente du départ.
Re-mort du temps sans remords.
Nous savons bien que tout sera à recommencer demain.
Car elle n’est pas encore là l’heure du retour.
Même si son heure viendra. Même si son tour aussi.
La prison de Gabode peut garder ses portes closes.
Elle n’aura jamais les assassins sans victimes que nous sommes.
Et pourtant nous n’avons pas fini de sévir…
…encore tant de temps reste à tuer.
Allez rentrons,
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