Ville noire saignée à blanc
- Par arcimboldodejuin
- Le 03/11/2017
Souvenir d'un mois de juillet en ville, République de Djibouti, 2015.
Juin dégoulinait dans la chaleur moite d’un été approchant, juillet se torréfie dans les bourrasques d'un vent désertique.
Les voies aériennes ramènent les familles en France, pour l’été ou définitivement.
Djibouti se vide.
L’agent orange recouvre cette ville noire saignée à blanc. Les djiboutiens vont encore dire que c’est un coup des américains.
Mais ce n’est que le Khamsin, qui égrene ses 50 jours de sable. Il exhale son haleine brulante dans les rues, obstrue l’horizon et masque le soleil.
Période particulière, à la mine patibulaire . Pays désert, ville exsangue. Plus aucun chouf pour réclamer des bakchichs. La voie est libre et les parkings à nouveau gratuits. Voilà qui convient parfaitement au braconnage numérique. Ne présager de rien. Ne pas influencer le cours des choses. Laisser l’image venir à l’objectif. Fureter. Observer en passant.
Avec Brindille, nous allons nous perdre dans les rues de la ville. Baroud d’honneur de cette brave petite voiture qui finira sa vie ici. La traite des blanches version mécanique. Mais alors qu’une vie d’homme est comptée au djiboutland, celle d’une voiture est étrangement longue.
Les garagistes locaux sont très forts en réanimation africanisatrice. Des adeptes du « bankal-kiroul », le seul art à durer dans cette contrée. Il n’y a qu’à voir les taxis: colmatage de ci, rabotage de ça, ajout de bouts inutiles, ablation d’autres utiles, conversion des pièces d’origine en pièces chinoises assurant de perpétuelles réparations éphémères.
L’excision mutilatrice, une fâcheuse tendance dans la corne d’Afrique.
Seuls les hommes et des hommes seuls restent au djiboutland. C’est ce que les nayas d’Ethiopie aux jupes courtes, aux abyssins décolletés et mains baladeuses, celles des bars glauques des fins fonds de la ville, appelaient le mois du blanc. Rapport à la couleur de peau de cette clientèle qui affluait aussitôt la famille dans l’avion. Les dessous d’une vie portuaire où l’éloignement de la mère patrie donne l’illusion que tout est permis une fois la mère partie. Cette époque n’est pas complètement révolue. Mais les attentats ont un peu refroidi les chauds lapins. La nuit il fait maintenant désert à l’ombre du palmier en zinc.
Désert aussi le jour pour raisons contraires. C’est le Ramadan qui frappe.
Tout le monde s’économise dans la pénombre ou à la climatisation.
La plage de la siesta, bondée il y a quelques jours encore, a cessé de jeter ses enfants sous les roues des 4×4.
Elle est totalement vide, et presque propre. Livrée au vent qui mêle le sable rouge au sable blanc de la mer bleue et emporte avec lui les derniers détritus. Même les vendeuses de Khat ont pris le rythme. Elles ne sortent plus qu’à la tombée de la nuit, comme des spectres dans les phares des voitures. Dans le Khamsin, leurs voiles ont des allures de feuilles mortes soulevées par l’automne.
Au-delà du rond point de Tokyo, le plateau du serpent love ses rails le long des quais. Le souvenir d’un train qui ne viendra plus. seuls des Afars ébouriffés égarés errent encore hagards dans la gare abandonnée. Les chinois en ont construit une nouvelle en dehors de la ville, loin du centre.
Un peu plus loin la croix de Lorraine perd pied. Elle s’efface par le bas ce qui n’estompera pas pour autant le souvenir des colonies. Bon pour les uns, mauvais pour les autres comme à chaque fois.
Déserte aussi la plage du Héron. Les deux pieds dans un sable trop chaud, la tête dans un soleil trop haut, le bec tendu vers une mer trop basse. Les mêmes bateaux sont toujours là dans le port voisin, échoués peut-être ou fondant le métal de leur coque dans les vagues tièdes de la baie.
A Ambouli, le boiteux veille sur la voie ferrée. Véritable cordon ombilical de 85 millions d’Ethiopiens vers une mer inaccessible.
Pendant ce temps les dromadaires sillonnent le bidon ville sous l’oeil rond des chèvres coprophages. Au milieu des ruines, autour des toukouls de fortune, des maisons gigantesques sont bâties à la chaine.
Il paraitrait que la présidence va faire payer une taxe sur les terrains inhabités…probablement pas l’unique raison de tous ces chantiers. Voila qui sent le blanchiment d’un argent salement gagné. Celui de la piraterie ? peut-être bien.
Dans les quartiers perdus, lorsqu’on arrive là où le goudron refuse d’aller, un peu plus d’agitation sur les routes défoncées. Des enfants surtout, jeunes qui ne jeunent pas, courent au milieu des poubelles débordantes éventrées. Ils s’enfuient en riant devant la voiture, sous l’oeil rutilant des mosquées. Allah et le président sont bien logés au djiboutland.
De temps en temps des barbus immaculés avachis dans l’ombre jettent un oeil islamiste à cette chevrolet suppôt de l’occident qui vient troubler leur disette. Heureusement que le Shaytan hirsute qui tient le volant à la barbe courtoise. Un salut de la main, un sourire, allez ça va tu peux y aller Infidèle.
Retour au centre ville par la piste. L’ancienne place du marché maintenant gare routière et son minaret ventru.
Un grain de beauté au milieu des verrues.
Et disséminés un peu partout des vestiges de bâtiments qui furent beau.
Djibouti, entre bidonville et ruines habitées. Une ville nomade quoi.
Après ces images, il est bon de le rappeler:
Un peu plus haut sur la place Menelik, les taxis bercent leur chauffeurs dans la fraicheur relative d’une ombre timide.
Le restaurant « la chaumière » ravagé par l’attentat de mai 2014 a été reconstruit.
On y mange à nouveau très bien, un oeil sur la porte d’entrée, les fesses serrées.
Enfin la place des banques et ça se voit. Les décorations de Noel sont toujours là.
A quoi servirait de les enlever, Noel va revenir.
Au large l'ile de Moucha est abandonnée dans une brume de sable grumeleux.
Le ponton giflé par les vagues a replié son bras au sec.
Transats et fauteuils ont transhumé vers les abris. On accoste en se mouillant les pattes dans une soupe servie à la température l’air.
Sur la plage, les taus ont été arrachés et flottent déchirés comme des étendards de champ de bataille à la fin des combats. Ils ont été battus par le vent. Les parasols ont ébouriffé leur palme. A leurs pieds les jeux d’enfants sont renversés. Le sable s’accumule contre les murs en petites dunes régulieres. L’éolienne du lagon bleu a baissé les armes. L’ile reprend ses droits.
Au milieu des caisses de St Georges, il ne reste plus que de mous chats et le fantôme de Monfreid, qui trinquent ensemble à la défaite saisonnière de l’homme.
Retour mérité à la vie sauvage pour un endroit à préserver.
Allez rentrons.
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