Arcimboldodejuin

Imgp1527

Amarres tombales

Souvenir de la dernière nomadisation marine dans le golfe de Tadjourah, République de Djibouti avril 2015

Deli Valetta, fameux esquif nous voilà.
A bord un equipage de revenants, partis, rentrants, expats futurs empatriés venus voir l’écume.
Celle que soulève ta proue, qui déferle le long de ta coque sans bruit.
Venus sentir encore le vent du large sur leurs visages salés, profiter encore des rayons d’un soleil noir sur leurs peaux blanches, ensabler encore quelques souvenirs du sud dans leurs mémoires du nord.
De quoi buriner l'âme et fuire encore un peu plus loin avant de rentrer…rentrer…rentrer…bon sang de boutre.

Imgp1456
Obock, de l’autre côté du golfe de Tadjourah, en pays Afar. Le nord de Djibouti.
La côte est belle par là bas aussi, sauvage pour ses naufragés, hostile pour les égarés.
Obock, le rêve français d’une capitale djiboutienne. Premier comptoir colonial déchu depuis longtemps.

Imgp1498
Ne persistent contre sable, vent de mer et désert que quelques maisons blanches et un dispensaire tenu par une soeur.
Les conflits internes encore récents n'ont pas faciliter le développement local.
Obock c'est aussi la dernière demeure de quelques militaires français.
Les deux annexes nous déposent dans le cimetière marin pour leur rendre visite.

Imgp1546
Ici reposent côte à côte marsouins et légionnaires.
Sous leurs dalles immaculées de chaux, ils n’en finissent plus de sentir le sable chaud.
Depuis l'an zéro du millénaire, leur dernière demeure a été révisitée.
La grande croix noire qui leur faisait de l'ombre n'est plus et le métal commémoratif rappelant leur identité a disparu.

Dji12
(le même cimetière en 2000)
Remplacé par un panneau plastifié dont la vitre a été cassée par quelques esprits iconoclastes de passage.
Soldats oubliés devenus inconnus. Sans arche ni flamme.
Ici aussi on fait des misères aux défunts.
Quand le manque de savoir vivre ne concerne pas que les morts, n’est-ce pas un peu de l’humanité qui meurt aussi ?
Un pas plus loin dans le soleil couchant le campement de la Mer Rouge au beau milieu du rien environnant.
Et c’est pour ça que c’est beau. Un panorama ultramarin magnifique.

Imgp1548
Retour au Deli.
Des reflets de brasero dans le dos, tandis que devant nous au dessus du phare du Ras bir, la nuit hisse son drapeau pirate, signal de l’abordage.

Imgp1565
Les astres grimpent aux haubans des voiles d'Obock.
Un vent marin, chaud comme le fut d’un canon de sabord corsaire qui a lâché sa bordée, ventile le mouillage.
Touchée en plein cœur, une lune à l’emporte pièce ensanglante la nuit.
Elle montre à tous les chats gris comment faire le dos rond, se hisse au dessus des toits de la ville fantomatique, et meurt en montant de tout son poids appesanti dans l’océan nocturne.


Un silence chaud et humide remporte une victoire sans quartier sur le pont.
Empêchant le sommeil mais propice aux songes.

Imgp1800
Les heures d’éveil ont cet avantage qu’elles permettent des clichés improbables.
L’éternelle appartenance du monde à ceux qui ne dorment pas.
Insomniante addiction.
Le lendemain, départ en compagnie d’une section de marsouins, bien vivants ceux-là.
Ils restent de longues minutes à jouer dans les vagues autour du bateau.
Imgp1612

A la troisième heure de navigation le Deli créa les sables blancs, sous un ciel gris, au dessus d’un tombant bleu.
Apesanteur du bateau au dessus du fond sablonneux 20 mètres plus bas, où vient se poser l’ancre.
Au fond  de sa cuisine le cuisto cent fois sur son métier microscopique remet son ouvrage avec succès.
Diabolique artiste culinaire oeuvrant dans une chaleur infernale.
Avec ses mains d'accoucheurs, l’homme fait naitre des fourneaux au feu de bois des lasagnes fabuleuses qui ruissèlent de spaghettis bolognaises et s’enchainent au carpaccio de bonite le tout sur fond de farandole de crudités, pain perdu et choux savoureux.
Unique potée Afar en forme de blues culinaire dont la partition se joue sur le piano d’une cuisine aussi grande qu’une boite de conserve.

Imgp6732
Une nouvelle nuit blanche aux sables bleus, sous une lune afar au regard pleinement hagard avant le départ.
Profitons jusqu’au bout du bout de la dernière seconde de l’ultime minute de l’heure terminale où le soleil signera de son rayon déclinant l’ordre d’achever le périple.
Nous voilà rattraper par l’autorité solaire.
Menottes aux poignets, chaines aux pieds, jetés à fond de cale, l’horloge du temps nous pousse vers l’échafaud du retour.
Imgp1589

Les vertèbres de la coque craquent sous les vagues, l’esquif se paralyse contre le quai.
Dernier soubresaut du moteur.
Dans le port de Djibouti git le Deli, ici périt notre escapade.
Sous les amarres tombales du bord va maintenant reposer en paix dans nos souvenirs le « Horn of Africa dive club », avec cette épitaphe: « Allez rentrons »
Imgp1450

 

Deli Djibouti arcimboldodejuin Plage Désert