Revandonneurs

27 heures moins trente deux

A l'aise sur la terrasse mélèze.

Sans tracas ni blabla au milieu des épicéas.

Point du jour, damné départ, dernier regard.

Dans quelques minutes les crêtes affutées, scalpel des monts alentours, inciseront le ciel bleu lavande.

Devant les yeux ensommeillés du monde, la césarienne de l'aube, naissance d'aurore, délivrance du jour.

L'heure des flutes traversières aussi et des accords acoustiques que la brise fond dans la respiration des forêts.

Les reliefs s'animent, les vallées berceau des torrents se creusent, les cols étirent leurs bras de cimes vers les nuages.

Les arbres soupirent leurs branches dans la fraicheur de ce matin renouvelé.

Les épilobes ébrouent leurs feuilles étroites de rosée au rythme de la caresse pastel du ciel.

Tout ce petit monde de chardon, némésis et camomille exhale des senteurs résines de pain et viennoiseries boulangères.

Devant la représentation de ce paysage on se sent petit.

Par la taille.

Par l'âge.

Et l'on applaudit des deux mains. Comme des gamins.

La tête dans les chaumes coupées.

Les pieds dans les nuages.

Le reblochon contre le palais.

Et derrière le cristallin l'empreinte indélébile des jours passés.

Heureux que nous sommes, nos sacs à dos plein de randos,

Nos godiots saltimbanques couverts de poussières de chemin de montagne,

Aux mollets quelques criquets des crêtes encore posés,

Aux cuisses la saupoudre d'ailes papillons d'alpages

Sur les oreilles fleurs des champs

Entre les dents brin de rien, juste paturin

Aux lèvres sourire des grands espaces

Sur la peau tanin de caresse estivale

Dans les nasaux essentielle essence conifère

Dans la moustache poivre de schiste et sel broussaille la mousse fraiche d'un jus de houblon brassé dans les refuges perchés.

Le juste bonheur d'avoir dessiné de nos pieds cent détours entiers de sentiers dentelés

Et d'avoir écrit un peu de liberté sur les ardoises des pierriers, éternels écoliers buissonniers des sommets.

Le Queyras, une besace de souvenirs pleine de provence d'altitude.

Pays sans frontière, celui des folletins, amis des revandonneurs.

Cette drôle d'espèce qui effleure de ses pas les crêtes que ses yeux depuis longtemps courtisaient.

Allez rentrons.