L'Hymne de tous les Robinsons
- Par arcimboldodejuin
- Le 26/12/2022
Quatre mois plus tard sur la terrasse en bois de la masure anti-cyclone.
L’heure est venue d’aller faire les yeux fous à la Marie galamment assise de l’autre côté du chenal guadeloupéen et que l'on aperçoit à intervalle régulier toute allongée alanguie dans les vagues transparentes de l'archibel archipel.
Après 45 minutes de traversée bien frappée comme un café Chaulet, nous voilà bien arrangés comme le rhum, et pour les braves inconscients du pont bien trempés comme une soupe.
Puis le bâteau s'immobilise.
Dehors sur le ponton écrasé de soleil, la caresse d'un alizé qui n'en a rien à faire et continue à l'infini son périple dépressif.
Dans un coin de pénombre Belradio 106.9 te renvoie un air de biguine en sourdine.
La météo locale te sert un bol d'air à 30 degrés, un sable écarlate te propose de la cristalline au sel Caraïbe collé par les embruns, de vieilles maisons n'attendent plus de réparation, quelques rastas sur des marches ne résistent plus au soleil.
Nou kontan we zot à Marie Galante.
Tu es arrivé à destination Robinson, tout le monde descend même si le bâteau est presque vide.
Voilà le doux pays pas si plat des happy culteurs dont le pouls est bien plus las que celui de la grande Gwada.
Une Marie bien accueillante berçant dans son giron de sable fin quelque souffle tropical au ressac des vagues atlantiques et maternant des anses à faire bleuir les cousines des Saintes.
De belles baies qu'elle livre dans leur plus simple appareil comme au premier jour, au premier venu, sans contre partie ni chichi.
Point de jalousie pour elle, elle s'offre à tous les regards. La splendide impudeur d'une beauté naïve.
On est loin des côtes flibustières de la Basse Terre que l'on ne trouve qu'en s'égarant dans la jungle volcanique les soirs de pleine lune pendant les semaines des 4 jeudis.
Elle n'est pas orgueilleuse cette Marie.
L'orgueil nait au coeur de ceux qui lui rendent visite.
Car ils ont le privilège de la rencontrer seuls.
Peu nombreux sont ses visiteurs.
Les tortues ne s'y trompent pas.
Préservés sont ses jupons de cannes même s'ils sont tâchés de sang noir.
Les moulins de son coeur de sucre ne tournent plus, mais un rhum à 59 degrés coule encore dans ses veines métissées.
Ici c'est Labat le rhum de Marie, ou Bellevue, qui rend aveugle, ou Bielle qui se la coule dans les chemins sinueux de l'ile.
Et quand on en boit, le soir en regardant le soleil descendre dans son verre, il en faut particulièrement peu pour que le fouet des maîtres te lacère la tête et que tu entendes tous les choeurs Arawaks des fantômes de cette terre.

A la deuxième coudée haute, personne ne t'empêchera de chanter la Voulzy song pas si banale, l'hymne de tous les robinsons.
A la troisième tu verras une baleine rouge te servir des tartares congénères au citron vert.
De quoi perdre le temps et s'évaporer dans les alizés.
Marie Galante te mélange à son intemporalité évaporée.
Où elle demeure.
Et l'on est rassuré de savoir qu'elle est là. Qu'elle persiste, dessinant son passé toujours présent et futur sur les murs de ses maisons, et qu'elle y signe sa liberté à la pointe d'une plume de poisson lion.
Et si tu n'aimes pas le rhum tu pourras toujours siroter un jus de cithère 6 pieds de long au comptoir mahogany d'un bar corsaire, en regardant la mer de Capesterre.

Mais attention Robinson, cette ile a l'âme reggae et le coeur améridien.
Elle se veut parfois sirène et vibre comme un Fa aux cordes d'une vieille guitare acoustique.
Et comme cet accord elle pourrait t'instiller une attachante nostalgie authentique dont tu ne saurais te départir.

Alors Robinson comprend et redescend sur terre.
Il s'est Crusoé le temps de ses nuits galantaises.
Mais c'est vendredi et la vie sauvage ne sera pas pour lui.
Il rentre dans sa métrop'ile.
Et rien ne l'empêchera d'écrire quelques mots qui ne partiront pas et n'arriveront jamais.
Si ce n'est dans les petites cases créoles colorées qui peuplent maintenant sa mémoire.
Allez rentrons, et toi Marie G, reste comme tu es.
Karukera Marie-Galante Robinson Plage arcimboldodejuin